11 octobre 2023

La force de l’analyse de cycle de vie comme outil diagnostic en tourisme durable

Photo mise de l’avant:Campaign Creators sur Unsplash

Gisèle, une gestionnaire en tourisme, prépare un forfait voyage pour aller voir les baleines. Son objectif est de rendre le forfait durable en diminuant son impact environnemental. En cherchant sur Internet, elle tombe sur « les 7 étapes du parcours durable optimale» de TDQ. L’étape 3, celle du diagnostic, mentionne l’analyse du cycle de vie comme outil pouvant l’aider… si seulement elle savait ce que c’est et par où commencer!

C’est quoi l’analyse du cycle de vie?

L’analyse du cycle de vie environnemental est un outil pour quantifier les impacts environnementaux potentiels d’un produit ou service à l’aide d’une méthodologie standardisée par des normes ISO (1,2).

La première force de l’analyse du cycle de vie (ACV) est d’offrir une perspective sur le cycle de vie. En effet, pour quantifier l’empreinte environnementale d’un voyage, toutes les ressources et les émissions durant tout le cycle de vie du voyage doivent être considérées. Par exemple, pour une sortie en kayak, on doit tenir compte de (3) : 

Figure 1: Analyse du cycle de vie, CIRAIG (2021)

  • de la fabrication du kayak, incluant la production de toutes ses composantes;

  • du transport jusqu’au client;

  • de la phase d’utilisation du kayak;

  • et du traitement en fin de vie du kayak;

et ce, peu importe l’endroit (ex.: kayak fabriqué aux États-Unis) ou le moment (ex.: fabriqué il y a 5 ans) de ces étapes. De plus, on doit considérer les impacts directs (ex.: fabrication du kayak), mais aussi les impacts indirects (ex.: construction de l’usine du fabricant).

Gisèle a souvent entendu parler de l’empreinte carbone, quel est le lien avec l’ACV?

La seconde force de l’ACV est son approche multicritère. L’empreinte carbone se concentre sur l’impact des gaz à effets de serre (GES) sur les changements climatiques. Mais l’environnement est un système complexe également affecté par d’autres facteurs. L’ACV offre une vue plus complète de nos impacts environnementaux, en incluant plusieurs autres catégories d’impact (environ une trentaine) (4), telles que :

  • Diminution de la couche d’ozone (ex. : le trou de la couche d’ozone);

  • Formation de particules fines (ex. : smog dû aux feux de forêt);

  • Écotoxicité (ex. cyanure dans des lacs);

  • Utilisation des terres (ex. : espace requis pour l’agriculture);

  • Utilisation de l’eau (ex. : eau pour irrigation);

Ainsi, l’ACV aide à anticiper les transferts d’impacts. Par exemple, en voulant corriger les impacts liés aux changements climatiques lors de sa production, l’entreprise pourrait augmenter les impacts de toxicité (transfert entre catégories d’impact) ou augmenter les conséquences liées à la fin de vie (transfert entre étapes). L’aspect multicritère et la pensée cycle de vie diminuent grandement ces risques.

Gisèle se demande comment faire concrètement une ACV, quelles en sont les étapes?

Le sous-contractant en ACV, engagé par Gisèle, réalise les étapes suivantes :

    1. Définir l’objectif de l’étude pour cerner exactement ce que Gisèle veut savoir : quelles étapes d’un voyage sont les plus impactantes et quelles options de voyage permettent un voyage plus durable du point de vue environnemental?
    2. Définir une unité fonctionnelle qui représente le service rendu et va servir de base d’équivalence pour comparer les différentes options et choisir la meilleure. Pour Gisèle, l’unité fonctionnelle serait : un voyage pour une personne qui fait Montréal – Tadoussac pour un séjour de 3 jours et 2 nuits incluant une activité d’observation des baleines.
    3. Identifier les étapes du cycle de vie du système fournissant le service rendu et mettre les frontières de ce qu’on veut modéliser dans l’étude. La modélisation montre les étapes du cycle de vie pour les différentes composantes du forfait : le transport du voyageur, son hébergement, la restauration et l’activité d’observation des baleines.

Figure 2: Source: (Légende) Modélisation du forfait voyage. (Source) Catherine Lalongé

    1. Amasser l’information nécessaire et établir l’inventaire du cycle de vie, à l’aide de base de données spécialisées, d’enquêtes, de statistiques et de mesures sur le terrain, l’expert dresse la liste des ressources et des émissions du système défini à l’étape précédente. Ensuite, avec un logiciel spécialisé, il va traduire cet inventaire en indicateurs d’impacts environnementaux.
    2. Finalement, l’interprétation des résultats de l’étude est transmise à Gisèle. Qu’en ressort-il?

Que va apprendre Gisèle grâce à son ACV ?

Comme tout le monde, Gisèle avait des intuitions sur les résultats qui ressortiraient de l’étude. On a tendance à croire que ce que l’on voit, par exemple, que les déchets seront les impacts majeurs. Cependant, la pensée cycle de vie permet de remettre en perspective nos intuitions. La gestion des déchets est importante, mais ce n’est pas la seule chose qu’il faut prendre en considération. Toutes nos actions font des pressions sur l’environnement et il est souvent difficile de distinguer celles ayant le plus d’impacts. Pour prendre de meilleures décisions, il est important de faire ressortir les points chauds de la situation actuelle pour prioriser ensuite les efforts au bon endroit.

En se basant sur une ACV faite en Italie (5), mais adaptée à la réalité du Québec, voici des résultats fictifs pour l’analyse demandée par Gisèle. Les résultats sont présentés sous forme de graphiques et séparés en aires de protection (Figure 4). Une aire de protection combine les différents indicateurs sous des thématiques que l’on veut protéger comme la santé humaine ou la qualité des écosystèmes. Dans chaque aire, on peut comparer les différentes options de voyage proposées (Figure 3). Sur l’axe vertical, on représente l’intensité de l’impact environnemental, donc à 100% c’est le scénario le plus impactant des trois présentés. De plus, chaque couleur représente une composante du cycle de vie, pour notre exemple, le transport du voyageur en bleu, l’hébergement en orange, la restauration en gris et l’activité d’observation des baleines en jaune. Ceci permet de voir quelle partie du forfait provoque le plus d’impacts.

Figure 3 Source: (Légende) Les options de forfait voyage comparer dans l’ACV. (Source) Catherine Lalongé

Figure 4 Source: (Légende) Résultat de l’ACV fictive fait à la demande de Gisèle. (Source) Catherine Lalongé

On peut donc voir que l’option de voyage 1 semble avoir le plus fort impact, notamment à cause du transport du voyageur et de l’activité d’observation. Il est certain que la voiture à essence émet beaucoup de GES qui impactent les changements climatiques et ultimement la santé humaine et la qualité des écosystèmes. De même, moins il y a de passagers pour l’observation sur une embarcation motorisée, plus la quantité de carburant consommé par passager (et donc les GES associés) est importante. On observe un déplacement d’impact entre l’option 1 et 2 pour ce qui est de l’impact des GES sur la santé humaine, les changements climatiques et l’épuisement des ressources dû à la voiture électrique. En effet, l’auto électrique émet moins de GES que l’auto à essence, mais consomme plus de ressources (ici le lithium). Finalement, l’option 3 semble la meilleure option, car elle a le moins d’impact dans toutes les catégories.

L’interprétation des résultats est très importante et permet de ressortir les points chauds selon un contexte temporel et régional bien précis. Mais, l’ACV ne capte pas tout, c’est un domaine en maturation et les études présentent des limites. Par exemple, on ne peut pas capter l’impact du surtourisme, l’impact sur les communautés ou l’impact des interactions des kayakistes avec les baleines (les kayaks sont des obstacles, donc des stresseurs) (6). Il est donc important de prendre ces variables en considération autrement. Pour voir un exemple des impacts pris en compte en ACV, vous pouvez vous référer à la figure 5 suivante. 

Figure 5: IMPACT World+: a globally regionalized life cycle impact assessment method”(4)

Maintenant que Gisèle s’y connaît un peu plus en analyse de cycle de vie, elle informe un collègue qui souhaite commencer le processus.

Les premières étapes :

On ne s’improvise pas ‘’ACViste”, on doit donc faire affaire avec un expert tel que le CIRAIG (3) ou Ellio (7) pour réaliser une véritable ACV. Le coût d’une étude peut varier entre 25 000 $ et 100 000 $ en fonction de la complexité de l’étude et de la qualité recherchée. Ce coût non négligeable peut être réduit grâce aux options suivantes :

  • Formation d’un partenariat universitaire;

  • Financement du Fonds Écoleader (8);

  • Financement de stagiaire via le Programme Mitacs (9).

Suivre une formation sur la pensée cycle de vie ne permet pas de faire soi-même une étude complète, mais permet de former sa pensée et d’être plus conscient de l’ensemble de ses impacts.

Conclusion de Gisèle

À l’aide des résultats de son ACV, Gisèle a bâti un forfait qui lui permet de diminuer son empreinte environnementale tout en gardant un produit intéressant pour le voyageur. Les résultats de l’ACV lui ont permis de faire ressortir des points chauds auxquels elle n’aurait pas pensé. De plus, comme elle connaît les limites de l’ACV, Gisèle a même poussé plus loin la réflexion et s’est faite aider par des organismes de sa région pour respecter la biodiversité et la capacité touristique de la région.

Les résultats d’une ACV sont très liés au contexte régional de l’étude et il n’y a pas d’ACV du tourisme au Québec. Devenez pionnier, faites les premiers pas!

Inscrivez-vous gratuitement au MOOC du CIRAIG : Introduction à l’analyse du cycle de vie (10).

Texte par : Catherine Lalongé, ISE-UQAM, CIRAIG

Pour aller plus loin:

Lecture

Balado

Visionnement

Outils

Sources

1. ISO. ISO. 2006 [cité 25 juill 2022]. ISO 14040:2006.

2. ISO. ISO. 2006 [cité 25 juill 2022]. ISO 14044:2006.

3. Analyse du cycle de vie (ACV) [Internet]. CIRAIG. [cité 20 juill 2023].

4. Bulle C, Margni M, Patouillard L, Boulay AM, Bourgault G, De Bruille V, et al. IMPACT World+: a globally regionalized life cycle impact assessment method. Int J Life Cycle Assess. sept 2019;24(9):1653‑74.

5. Candia S, Pirlone F. Tourism Environmental Impacts Assessment to Guide Public Authorities towards Sustainable Choices for the Post-COVID Era. Sustainability. 21 déc 2021;14(1):18.

6. Baleines en direct [Internet]. 2016 [cité 9 oct 2023]. Est-ce que l’observation en kayak dérange les bélugas?

7. Ellio • Agence conseil en développement durable [Internet]. [cité 26 juill 2023].

8. Fonds Écoleader [Internet]. [cité 26 juill 2023]. Subvention du Fonds Écoleader.

9. Mitacs. 2020 [cité 26 juill 2023]. Stage de stratégie d’entreprise.

10. Introduction à l’analyse du cycle de vie – MOOC – Cours en ligne – CIRAIG [Internet]. [cité 26 juill 2023].

Partager cet article: