On aime imaginer que le Québec est un vaste terrain de jeu aux ressources illimitées, accessibles sans restriction. En réalité, de nombreuses consignes font partie des règles du jeu, notamment pour assurer notre sécurité et protéger les ressources naturelles. En effet, les activités touristiques peuvent affecter la biodiversité, alors que celle-ci constitue un de ses attraits reconnus. Et si le tourisme s’engageait à conserver la biodiversité?
Pourquoi le tourisme devrait-il se préoccuper de biodiversité?
Soyons honnêtes, la biodiversité va mal. Selon un groupe d’experts de l’ONU, 1 million d’espèces sont menacées de disparaître dans les prochaines décennies (1), malmenées par la destruction et la contamination (pollution) des milieux naturels, la surexploitation des ressources naturelles, l’introduction d’espèces exotiques envahissantes et les changements climatiques. Ce déclin est inquiétant, puisqu’une riche biodiversité contribue à limiter les effets des changements climatiques, un enjeu majeur qui a déjà une réelle incidence sur notre planète avec des manifestations plus fréquentes d’inondations, tornades, sécheresses et températures extrêmes.
Rappelons-nous que la biodiversité rend d’inestimables services écosystémiques, essentiels pour notre survie, nous fournissant matériaux, nourriture et combustibles, contribuant à la pollinisation des plantes, la protection des sols, l’assainissement de l’air, la régulation du climat et à notre bien-être global. Alors, agissons!
L’ABC de la conservation
La terminologie employée dans le domaine de la conservation, ça peut devenir mêlant. Les mots conservation, préservation et protection sont souvent utilisés comme synonymes dans le langage courant. Pour faire la nuance, sachons que la préservation est un but et la conservation, un ensemble d’actions qui incluent la protection. En fait, la conservation englobe trois types d’actions décrites dans les prochains paragraphes: protection, utilisation durable et restauration écologique (2). Celles-ci visent à préserver la biodiversité, rétablir des populations animales ou végétales ou maintenir des services écosystémiques. En initiant et en soutenant des actions de conservation, les intervenants touristiques évitent de contribuer à la dégradation des écosystèmes et au déclin d’espèces en situation précaire comme le béluga du Saint-Laurent, le pluvier siffleur, le caribou des bois ou la rainette faux-grillon, membres de la liste des espèces menacées ou vulnérables du Québec (3)(4), soit celles qui sont les plus sensibles aux perturbations de leur environnement.
Protection
Il existe diverses façons de protéger les milieux naturels. Des aménagements physiques comme des clôtures ou des panneaux de signalisation permettent de délimiter les zones à protéger. Des interventions humaines, comme une surveillance de sites ou des activités de sensibilisation, contribuent à diffuser des messages. Enfin, plusieurs outils légaux permettent la création d’aires protégées. La communauté scientifique estime que la protection d’au minimum 30 % du territoire, incluant les zones de grande diversité biologique, est nécessaire pour soutenir la biodiversité.
Utilisation durable
L’utilisation durable d’une ressource ou d’un milieu naturel implique un usage qui aura peu ou pas d’impact sur l’environnement et la biodiversité. Ceci comprend des activités de prélèvement contrôlées, comme la pêche.
L’utilisation durable se décline en deux types d’actions, aménagements et mise en valeur. Les aménagements durables englobent les interventions qui permettent d’améliorer l’état et les fonctions d’un écosystème, par exemple la mise en place de mesures augmentant la productivité de frayères (lieu de reproduction), bénéfiques pour les poissons. Par ailleurs, la mise en valeur durable inclut les initiatives qui favorisent l’utilisation durable d’un site, par exemple l’aménagement d’un belvédère dans un site récréotouristique.
Restauration écologique
Un milieu qui n’est pas adéquatement protégé ou utilisé de façon durable, risque de perdre son intégrité écologique. En cas de dégradation, il est possible d’y entreprendre des travaux de restauration écologique plus ou moins laborieux pour donner un coup de pouce à la nature. Des actions telles les plantations d’espèces indigènes contribuent à redonner un caractère naturel aux sites perturbés et à rétablir leurs fonctions écologiques. Bien entendu, il est inacceptable de planifier la destruction d’un milieu en se disant qu’on pourra toujours le restaurer plus tard.
Gestes concrets pour réduire les impacts
Comment intégrer des actions de conservation en tourisme durable de façon à protéger la biodiversité? Il n’y a pas de recette unique, à vous de trouver les initiatives adaptées à votre réalité. En voici quelques exemples. Le reboisement est une des activités adoptées depuis 20 ans déjà, (5) par Le Baluchon, éco-villégiature, un leader en écoresponsabilité situé en Mauricie. (Voir aussi restauration écologique et tourisme régénératif). À plus grande échelle, une entreprise pourrait contribuer à préserver des habitats clés d’un corridor écologique (6), notamment en planifiant un aménagement extérieur durable. Parfois, des citoyens soucieux de préserver les milieux naturels de leur région créent des organismes qui font l’acquisition de terres à des fins de conservation, par exemple via la création d’une fiducie.
En amont, une implantation à moindre impact
La mise en œuvre d’un projet touristique durable, tous secteurs d’activité confondus, devrait être le fruit d’une planification réfléchie qui vise à limiter les impacts indésirables sur l’environnement, telle la perte d’espaces verts ou la destruction d’habitats fauniques. Choisir l’endroit où installer ses infrastructures et celui où se dérouleront les activités, font partie des éléments à considérer. Les décisions éclairées seront basées sur une bonne connaissance de son environnement. Certains projets comme des routes ou des travaux en milieux hydriques ou humides peuvent être assujettis à une évaluation environnementale (étude d’impact). Dans le cas de projets d’établissements situés en milieux naturels, il peut s’avérer fort utile de faire caractériser un site au préalable, pour en connaître la biodiversité et situer les zones sensibles comme les milieux humides et les espèces à protéger. Dans les zones urbaines ou péri-urbaines, il serait indiqué d’accorder une attention spéciale aux espaces verts et aux arbres présents, afin de les préserver lors de travaux d’implantation ou d’agrandissements (stationnements, bâtiments et autres aménagements). Voici quelques pistes à considérer :
- Bâtir les infrastructures (bâtiment, routes, stationnement, pavillon d’accueil) au bon endroit : éviter les milieux humides, les pentes fortes, les habitats fragiles.
- Aménager les sentiers, terrains de camping, pistes multifonctionnelles, aires de pique-nique, etc., loin des zones sensibles ou des populations d’espèces en péril. Consulter le guide d’aménagement de sentiers de Rando Québec (7).
- Penser à des aménagements qui limitent l’impact de la fréquentation, l’érosion ou autre dégradation dommageable pour la biodiversité. Par exemple, prévoir le drainage des sentiers en faisant dévier l’eau qui stagne ou protéger les berges par un accès aménagé.
- Limiter le déboisement et le débroussaillage lors des aménagements. Les cavités des arbres morts et les branches au sol servent d’abris à la faune : polatouches (écureuils volants), martre, canards, etc.
- Développer une offre d’activités à faible impact (randonnée, kayak, activités nautiques non motorisées, raquette, etc.). Plus ces activités sont disponibles et accessibles, meilleure sera la probabilité qu’elles soient adoptées par les visiteurs.
- Prévoir un éclairage qui réduit la pollution lumineuse en n’orientant pas les lumières vers le ciel, en utilisant des ampoules qui respectent les principes d’éco-éclairage. Ce sera bénéfique pour les chauve-souris et les insectes nocturnes.
- Minimiser les aires gazonnées et la tonte. Garder une partie de terrain en friche pour attirer les oiseaux qui nichent en milieux ouverts (prairies, champs) et les pollinisateurs.
- Gérer les espèces exotiques envahissantes (EEE) pour limiter leur impact sur la faune et la flore locales. Le site internet Sentinelle (8) qui décrit plusieurs plantes et animaux problématiques, peut servir de guide d’identification. Parmi les végétaux indésirables particulièrement agressifs, on note la châtaigne d’eau, le myriophylle à épis, la renouée japonaise, l’alliaire officinale et les nerpruns cathartique et bourdaine. La gestion des EEE varie selon les espèces; elle comprend la prévention, la détection précoce et diverses interventions adaptées, comme l’arrachage, l’utilisation de toile géotextile pour empêcher la repousse et la restauration par la plantation d’espèces indigènes.
En aval, une utilisation à moindre impact
Parler d’utilisation à moindre impact sur la biodiversité, ça implique un gestionnaire qui met en place des mesures pour limiter les effets de la fréquentation d’un lieu, et ça implique aussi un utilisateur respectueux de son environnement qui adhère aux Principes Sans trace (utiliser les sentiers, laisser la nature intacte, gérer ses déchets, etc.) (9). Voici quelques exemples pour vous inspirer:
- Mettre en place des mesures de sensibilisation et des stations de nettoyage pour éviter d’introduire des espèces exotiques envahissantes. Par exemple :
- Stations de nettoyage d’embarcations, près des rampes d’accès à l’eau, pour éviter de propager le myriophylle à épis, une plante aquatique très prolifique, la moule zébrée, etc.
- Brosses à bottes à l’entrée de lieux touristiques ou lors d’événements en plein air pour enlever les graines d’espèces envahissantes incrustées sous les semelles des chaussures.
- Mettre en place des mesures pour limiter l’impact de la fréquentation en milieux naturels:
- Par exemple, dans les milieux fragiles comme les sommets de montagnes et les milieux humides, prévoir des passerelles ou balises claires pour réduire le piétinement et canaliser les randonneurs.
- Limiter le nombre de sentiers et fermer ou dissimuler les sentiers non officiels pour éliminer leur fréquentation.
- Interdire certaines activités pour protéger la faune lors de périodes critiques, par exemple la fermeture de tronçons de sentiers sur l’Île-aux-Lièvres gérée par Duvetnor, en période de nidification ou encore la fermeture de sentiers ciblés du parc national de la Gaspésie et de la Réserve des Chics-Chocs pour la protection du caribou montagnard.
- Limiter le nombre de visiteurs journaliers afin de respecter la capacité de support d’un site, pour éviter le dérangement de la faune ou la dégradation du milieu.
- Organiser des événements écoresponsables qui limitent leur impact sur l’environnement. Le site web du Conseil québécois des événements écoresponsables (CQEER) fournit de précieuses informations pour vous guider sur les thématiques suivantes :
- Carboneutralité
- Gestion des matières résiduelles (GMR)
- Offre de transport collectif
- Remise en état du site après l’événement
La lecture de cet article vous a inspiré, mais vous avez besoin d’un support additionnel. Au besoin, un organisme de conservation ou un organisme comme De ville en forêt pourraient fournir de bons conseils ou de l’accompagnement.
En conclusion, n’oublions pas que le tourisme, comme toute activité humaine, peut nuire à la biodiversité. Un tourisme durable met de l’avant les choix qui ont un impact moindre. Il suit le courant post COP-15 (10), rencontre mondiale qui a permis de s’entendre sur 23 cibles pour freiner la perte de biodiversité, notamment la protection de 30 % des milieux naturels d’ici 2030. Plus récemment, les membres de l’ONU ont aussi adopté un traité pour protéger la biodiversité marine en haute mer (11), permettant d’y créer des aires protégées, garantes de la bonne santé des océans et de leurs écosystèmes essentiels pour l’humanité. À nous de jouer, toute la société doit se mobiliser pour préserver la biodiversité de la planète. Chaque site touristique, établissement, touriste, randonneur, hôte, etc. peut faire sa part, un geste à la fois. Relèverez-vous le défi?
Envie de rejoindre le mouvement Tourisme durable Québec? C’est par ici pour connaître les avantages et par ici pour l’adhésion.
Pour aller plus loin :
Lecture
Définir la science de la biodiversité
Un plan sud pour le Québec (Livre)
4 principes intelligents pour mieux éclairer
Oui, la pollution sonore a un impact sur la biodiversité
Des bons conseils pour éviter d’introduire et de propager des espèces exotiques envahissantes (Guide)
Stratégie canadienne sur les espèces exotiques envahissantes
Répertoire des organismes de conservation du réseau des milieux naturels du Québec
Atlas des amphibiens et reptiles du Québec
Sources :
- Communiqué de presse: Le dangereux déclin de la nature : Un taux d’extinction des espèces « sans précédent » et qui s’accélère, Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (2019)
- Terminologie relative à la conservation de la biodiversité in situ, Le naturaliste canadien (2013)
- Liste des espèces fauniques menacées ou vulnérables, Gouvernement du Québec (2023)
- Liste des espèces floristiques menacées ou vulnérables, Gouvernement du Québec (2023)
- L’écoresponsabilité au Baluchon, Le Baluchon, éco-villégiature (2023)
- L’adaptation aux changements climatiques, Conservation de la nature Canada (2023)
- Normes en aménagement de sentiers, RandoQuébec (2023)
- Sentinelle: Identification d’espèces exotiques envahissantes, MELCCFP (2020)
- Les 7 principes Sans Trace, Sans Trace Canada (2023)
- La COP15 sur la biodiversité, c’est quoi?, Nature Québec
- Communiqué de presse: Le dangereux déclin de la nature : Un taux d’extinction des espèces « sans précédent » et qui s’accélère, Nations Unis (2023)