Quand il est question de technologie, tout est rapidement dépassé. Qu’il s’agisse des réseaux sociaux, de nouveaux outils, d’applications ou d’intelligence artificielle, ce qui semblait novateur il y a à peine quelques années – voire quelques semaines ! – se retrouve rapidement relégué au rayon « rétro ». Alors, comment consommer de manière plus responsable quelque chose d’aussi éphémère et parfois intangible ? Que faire pour tirer des bénéfices du numérique sans entraîner de nouveaux problèmes ? Comment viser la durabilité alors que la date de péremption semble toujours de plus en plus proche ?
C’est quoi le numérique responsable?
Quand on parle de numérique responsable, on fait référence à une démarche d’amélioration continue pour diminuer l’empreinte écologique et sociale du secteur digital.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’humain est constamment dépassé par la nouveauté. En 1829, le train fait des caravelles et des diligences des moyens de transport d’une autre époque (1). Quand, en 1971, l’ingénieur américain Ray Tomlison (2) envoie le premier courriel sur l’Arpanet – pour « Advanced research projects agency network » – (3), alors utilisé par des militaires et des scientifiques, l’immédiateté devient le nouveau possible.
Bousculé par toutes ces inventions, notre rapport au temps est constamment mis à l’épreuve. Aujourd’hui, on peut trouver la réponse à nos questions en quelques clics et les courriels comme les services de conférence à distance nous permettent de communiquer sans délai. Les nuages n’annoncent plus seulement la pluie qui viendra troubler notre journée au grand air : ils se remplissent aussi de données pas toujours ordonnées. Entre nos photos de voyage et les vidéos de notre chat s’accumulent des millions de documents qui n’étaient pas tous, a priori, destinés à être conservés.
Dans l’essai l’Enfer numérique : voyage au bout d’un like, publié en 2021, le journaliste et réalisateur de documentaires Guillaume Pitron relate le voyage de nos courriels, de nos likes et de nos photos. Son enquête l’a amené à s’intéresser notamment aux métaux qui permettent à nos téléphones et autres gadgets de fonctionner, à la consommation d’eau nécessaire aux opérations des centres de données et aux endroits où refroidissent les serveurs. Loin de nous, dites-vous ? Et pourtant aussi proche que le bout de nos doigts.
Causée par les milliards d’interfaces et les données que nous produisons sans même nous en rendre compte, la pollution numérique est bien réelle. L’empreinte carbone de l’industrie numérique mondiale représente le triple de celle d’un pays comme la France. Environ 10 % de l’électricité produite sur la planète est mobilisée par les technologies digitales. C’est 4 % des émissions globales de CO2, ce qui équivaut à la moitié du secteur de l’aviation.
Quelle est l’empreinte écologique du numérique?
L’expansion de l’univers numérique semble infinie. Tout cela produit-il autant de gaz à effet de serre (GES) que certaines sources le laissent entendre ? Oui et non. Comme de nouvelles informations viennent constamment remettre en question les précédentes, il vaut mieux viser la sobriété et continuer de suivre l’actualité.
Par exemple, contrairement aux informations relayées par les médias depuis plusieurs années, l’échange de courriels n’aurait pas d’impact significatif (4). Les systèmes de stockage et de transmission de données numériques fonctionnent de manière continue même quand ils ne sont pas sollicités. Envoyer moins de messages et les supprimer régulièrement serait surtout un geste symbolique puisque peu importe le flux, les réseaux utiliseront à peu près la même quantité d’énergie. Au moment de rédiger ces lignes, l’échange de courriels représenterait environ 1 % du trafic Internet, et les services de vidéo – beaucoup plus énergivores! –, 82 % (5).
Toutefois, pour leur bon fonctionnement, les serveurs des centres de données doivent bel et bien être rafraîchis, ce qui peut entraîner une hausse de consommation par grandes chaleurs. En 2021, la canicule a par exemple amené Microsoft à utiliser quatre fois plus d’eau que prévu pour la climatisation d’un de ses centres de données aux Pays-Bas (6). L’obsolescence programmée des objets – la « date d’expiration » de nos gadgets technologiques – qui nous donnent accès au numérique fait également partie des sources de pollution bien identifiées.
Par ailleurs, même si l’utilisation de l’hydroélectricité plutôt que du charbon ou du mazout permet d’avoir une empreinte carbone moins importante, prendre de bonnes habitudes de réduction à la source s’avère essentiel dans toute démarche écoresponsable.
Comment faire notre part en tourisme?
L’ouvrage de Guillaume Pétron démontre en plus de 340 pages l’importance de réfléchir à notre impact technologique (voir aussi technocentrisme). Ainsi, le numérique a de nombreux bénéfices pour l’environnement comme l’accès à des données relayées par les satellites, la domotique (7) pour mieux contrôler la consommation d’énergie et le partage d’informations grâce aux codes QR, des menus de restaurants aux cartels des musées, le revers ne doit pas non plus être négligé.
À notre échelle, privilégier les équipements issus du réemploi ou contenant des matériaux recyclés ainsi que des achats durables et réparables peut déjà faire une différence, tout comme garder nos appareils le plus longtemps possible et remettre nos téléphones portables usagés à un programme qui les récupère.
Lors du choix d’un prestataire d’hébergement web et de centre de données, on peut aussi poser des questions, par exemple à propos de la chaleur produite par les serveurs (est-elle récupérée?).
Viser la sobriété (8) et la durabilité implique de s’intéresser à toutes les facettes de notre consommation numérique, de la conception de nos appareils à la consommation d’énergie liée à leur fonctionnement (9). On peut aussi repenser notre utilisation de la vidéo – est-ce vraiment nécessaire ? – et garder en tête des valeurs d’inclusion.
Adopter des comportements responsables sur les plateformes numériques (marketing responsable) implique aussi de ne pas faire la promotion de lieux sur fréquentés ou qui pourraient le devenir. De plus en plus d’experts recommandent par exemple d’éviter de géolocaliser les sites naturels dans les publications destinées aux réseaux sociaux. Quand des centaines de touristes piétinent le même bout de sentier pour se faire tirer le portrait dans un décor de rêve, c’est signe qu’on a échoué au défi de la sensibilisation.
Éviter de tomber dans le piège de l’écoblanchiment en exagérant des faits ou en martelant des messages qui frôlent le mensonge fait aussi partie d’une communication responsable.
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Texte par Marie-Julie Gagnon
Pour aller plus loin :
Lecture
L’enfer numérique : voyage au bout d’un like, Guillaume Pitron (2021)
Empreinte carbone d’un e-mail : mythes, réalités et solutions, blogue Sami
Bonnes pratiques numériques responsables pour les organisations, Gouvernement Français
Source :
(1) L’enfer numérique : voyage au bout d’un like, Guillaume Pitron (2021)
(2) L’inventeur du courriel, Ray Tomlinson, est mort, Radio-Canada (2016)
(3) 1969 : l’ARPAnet étend sa toile sur la Terre, Radio-Canada (2019)
(4) Envoyer moins de courriels : un geste symbolique mais inefficace pour le climat, Météomédia (2023)
(5) Canicule : les centres de données à rude épreuve sur leur usage de l’eau, Les Échos (2022)
(6) Domotique selon Larousse: « Ensemble des techniques visant à intégrer à l’habitat tous les automatismes en matière de sécurité, de gestion de l’énergie, de communication, etc .»
(7) Empreinte carbone d’un e-mail : mythes, réalités et solutions, Basile Fighiera (2023)
(8) Comment faire des usages numériques responsables et durables, Martine Rioux (2022)
(9) Prendre conscience de son empreinte numérique (et passer en mode solution), Martine Rioux (2022)